Jules Verne, Les Enfants du capitaine Grant, 1867 - Texte écho

Le tabou, commun aux peuples de race polynésienne, a pour effet immédiat d’interdire toute relation ou tout usage avec l’objet ou la personne tabouée1. Selon la religion maorie2, quiconque porterait une main sacrilège sur ce qui est déclaré tabou serait puni de mort par le Dieu irrité. D’ailleurs, au cas où la divinité tarderait à venger sa propre injure, les prêtres ne manqueraient pas d’accélérer sa vengeance.

Le tabou est appliqué3 par les chefs dans un but politique, à moins qu’il ne résulte d’une situation ordinaire de la vie privée. Un indigène est taboué pendant quelques jours, en mainte circonstance, lorsqu’il s’est coupé les cheveux, lorsqu’il vient de subir l’opération du tatouage, lorsqu’il construit une pirogue, lorsqu’il bâtit une maison, quand il est atteint d’une maladie mortelle, quand il est mort. Une imprévoyante consommation menace-t-elle de dépeupler les rivières de leurs poissons, de ruiner dans leurs primeurs les plantations de patates douces, ces objets sont frappés d’un tabou protecteur et économique. Un chef veut-il éloigner les importuns de sa maison, il la taboue ; monopoliser à son profit les relations avec un navire étranger, il le taboue encore ; mettre en quarantaine un trafiquant européen dont il est mécontent, il le taboue toujours. Son interdiction ressemble alors à l’ancien « veto » des rois.

Lorsqu’un objet est taboué, nul n’y peut toucher impunément. Quand un indigène est soumis à cette interdiction, certains aliments lui sont défendus pendant un temps déterminé. Est-il relevé de cette diète sévère, s’il est riche, ses esclaves l’assistent et lui introduisent dans le gosier les mets qu’il ne doit pas toucher de ses mains ; s’il est pauvre, il est réduit à ramasser ses aliments avec sa bouche, et le tabou en fait un animal.

En somme, et pour conclure, cette singulière coutume dirige et modifie les moindres actions des Néo-Zélandais4. C’est l’incessante intervention de la divinité dans la vie sociale. Il a force de loi et l’on peut dire que tout le code indigène, code indiscutable et indiscuté, se résume dans la fréquente application du tabou.

Jules Verne, Les Enfants du capitaine Grant, 1867, extrait du chapitre XII

1. Tabouée : sur qui ou quoi porte un tabou. 2. Maori(e) : adjectif renvoyant aux populations polynésiennes autochtones de Nouvelle-Zélande. 3. Le tabou est appliqué par les chefs : les chefs maoris décrètent verbalement que telle chose ou telle personne est désormais taboue. 4. Néo-Zélandais : lié à la Nouvelle-Zélande, pays insulaire d'Océanie.

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